prélude à l'oiseleur


QUELQUES CITATIONS UTILES ET TOUJOURS D'ACTUALITÉ

*
“Le commandement et les troupes de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale
sont essentiellement composés d’Indigènes du Chiapas;
il en est ainsi parce que nous autres, les Indigènes, représentons le secteur le plus humilié et le plus démuni du Mexique, mais aussi, comme on peut le voir, le plus digne.
Nous sommes des milliers d’Indigènes en armes et, derrière nous, se trouvent des milliers de membres de nos familles.
C’est ainsi que nous sommes des dizaines de milliers d’Indigènes en lutte.
Le gouvernement dit qu’il ne s’agit pas d’un soulèvement indien, mais nous pensons que lorsque des milliers d’Indiens se soulèvent, il s’agit bien d’un soulèvement indien.”
...
“Le recours à des passe-montagnes ou à d’autres moyens de cacher nos visages répond à des mesures de sécurité élémentaires et nous sert aussi d’antidote à la tentation de nourrir un culte du chef.”

ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE.
depuis les montagnes du Sud est Mexicain
6 janvier 1994



OU ENCORE
*
“Ce transbordement de paroles comporte un autre aspect que l’on ne trouvera dans aucun post-scriptum, dans aucun communiqué. C’est l’angoisse, l’incertitude qui, sous la forme d’une foule de questions, nous prenaient à chaque fois que les émissaires nous faisaient leurs adieux, emportant avec eux un ou plusieurs communiqués.
Des questions et encore des questions qui s’acharnaient à hanter nos nuits,
à nous accompagner dans nos tournées de contrôle des piquets, à s’asseoir avec nous sur un tronc d’arbre abattu à regarder le repas dans notre assiette et forçaient notre main à repousser la nourriture et nos pieds à aller de long en large : “Etaient-ce bien les meilleures paroles pour dire ce que nous voulions dire ? -Etaient-elles opportunes ? -Etaient-elles compréhensibles ?”
Jamais un communiqué ne nous a satisfaits au moment de l’envoyer...
...
... Il se trouve que l’on sent que quelque chose vous reste entre les doigts,
que quelques paroles errent encore par là, cherchant à se placer entre les phrases, que l’on n’a pas fini de vider les poches de l’âme, mais c’est inutile,
il n’y aura pas de Post-Sriptum qui contienne tant de cauchemars...
et tant de rêves...”

SOUS-COMMANDANT INSURGÉ MARCOS.
depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
à l’aube du 28 juin 1994.

laugierombre3L' ARMEE DES OMBRESlaugierombre3

- III -

 

Ne plus parler le langage des brutes
Pour leur dire quoi ? Que nous existons ?

Ils le savent.
Et ils n’ont rien à foutre de ce que nous sommes
tant qu’ils sont les plus forts
Par la brutalité.

Alors que nous avons, nous autres,
un langage commun
Que nous avons construit sans nous connaître
sans avoir besoin de nous consulter.
Et toi,
 qui es en taule, à seize ans
Tu dis ce que je dis avec les mêmes mots
Des mots qui ne sont venus là
que parce que tu les as vécus.

Un vécu dense et dur et pratiqué par ton corps même
qui refusa de se soumettre
et de considérer comme tiennes
Les justifications insensées d’un emprisonnement
dont tu t’es défendu
Jusqu’à la prise de conscience
de sa Totalité.

On se foutait de toi, il y avait autre chose,
Et c’est cet autre chose, la conscience de cet autre chose
Qui t’a permis de parler et de faire, sans appel,
ta première dénonciation.
Mais à qui parlais-tu ?
Pas à eux, à toi-même.

Toi, dont il m’a suffi de savoir l’existence
au détour d’un hasard
Je n’ai aucune question à te poser et si je te rencontre
je te reconnaîtrai.
Ton refus vaut le mien, ta liberté -par le mouvement qu’elle suppose-
parle comme la mienne

Je n’ai rien à t’apprendre mais juste à te faire signe.
Nous sommes une évidence du moment.

*
Car, si la cohésion internationale du pouvoir libéral ne fait plus aucun doute
Si la colonisation est universelle et hiérarchisée,
mais dites-moi, et pourquoi donc
Nous qui subissons dans nos coeurs et nos corps
les même offenses, les mêmes humiliations
Nous qui avons la même histoire, celle de l’impuissance,
mais qui avons une longueur d’avance
dans notre volonté d’en finir avec ce jeu de mort infect,
Nous qui avons dû, pour continuer de respirer
-face à une fin de non-recevoir intolérable où nous n’avions pour seul choix qu’être de bons ou de mauvais esclaves-
prendre nos distances et trouver nos armes
alors que nous ne demandions qu’à vivre
harmonieusement
Pourquoi ne serions-nous pas le fait d’une conscience internationale de ça ?

Quel est l’être assez cynique, assez veule, assez omnipotent
à part Dieu
qui pourrait se permettre de dire
que nous avons tort ?
que nous délirons ?
que nous sommes fous ?

Les bouchers font des rêves de bouchers.

QUAND L’OBÉISSANCE EST DEVENUE IMPOSSIBLE

troisième recueil
L'INDÉPENDANCE DU SOURIRE

L'ARMEE DES OMBRES

- I -

Nous ne sommes pas quelqu’un, nous sommes la nausée du monde.

N’être connus, ni reconnus
Disparaître dans le souterrain réseau des égaux
Etre le un à l’autre analogue
 et non semblable
C’est dévoiler la multiplicité des richesses.

Le fait social est tel qu’être en vie  c’est être invisible.
Le monde s’est saisi de tout ce qui se donne à voir
 pour survivre
Vie-ersatz réduite, exsangue, à son seul spectacle,
 ersatz du merveilleux
Et nous sommes fous d’être l’occulte d’un tel renversement.


Face au règne de l’ersatz brille, par intermittence, la lueur aveuglante
 plantée dans le cerveau des fous
Lumière noire,
Car le Fou n’est pas seulement celui que la société suicide
C’est aussi celui que l’on ne voit pas,
celui qui est transparent,
 dans son palais de cristal, hanté par la mémoire du monde.

Celui là prend conscience
 de ce que le monde est répressif et pourquoi
 de ce que cette répression établit elle-même les normes de sa contestation
où il n’est encore question que de prendre un pouvoir
 ou de se mettre au service de...
 et d’être ainsi séparés de nous-mêmes
 par une fin qui nous dépasse.


Nous en donner les moyens
passe par la conscience de la cohérence de la répression
 partout dans le monde.
Afrique, Asie, Europe, Amériques, toutes les guerres, toutes les prisons,
 sont les pièces d’un même jeu de pouvoirs.
Si l’on refuse de jouer le rôle qui nous est assigné :
 se taire et obtempérer,
Si l’on désire l’aventure quotidienne
C’est la mort lente de l’impuissance qui nous attend
 ou l’abdication de conscience.


Il faut donc commencer par nier.
Nier que nous soyions nés pour autre chose qu’être nous-mêmes notre propre aventure.
Et il nous faut savoir
 que c’est ici et tout de suite que cela commence.
C’est en quoi nous sommes tous analogues,
nous qui partons dès maintenant à la conquête de nos vies
 Mais non semblables.

Car, si la répression n’utilise pas partout les même armes,
Si elle est géographiquement différenciée
 et hiérarchisée
 si elle est inégale,
Sa fin est partout la même :
 maintenir les privilèges de quelques uns.

Et cette fin a besoin de ces inégalités de développement
 pour entretenir un ordre
que certains peuples paient de leur peau
 et un spectacle destiné
 à nous faire oublier,
dans de vaines discussions
dans de stériles échauffements passionnels
 que tout commence ici.
Et que ce qui se passe ailleurs
 partout où l’on torture, humilie, blesse, méprise, affame et tue
ne se produit ainsi que parce que les arrières de toutes les répressions sont assurées ici et que,
chaque flic usant ici d’un pouvoir discrétionnaire
chaque politicien enrichi ici par la bêtise et l’irresponsabilité
chaque technocrate justifié ici par la servilité et par la peur
permet que soit une bombe de plus, un avion de plus, une armée de plus
 et justifie ce quadrillage insensé
auquel on réduit les pays du tiers monde et les nôtres
Sous des dehors de bonhomie rassurante pour les imbéciles.

Car, quand ce n’est pas la guerre-terre-brûlée-génocide
 l’aide technique n’est jamais qu’une verrue de plus sur la face dérisoire
  des pleutres
 placés là par les groupes de pression des pays “développés”.

Nous sommes tous colonisés.

Et l’alarmante raréfaction de l’air respirable
 continue
Et les flons-flons grotesques de l’orchestre des morts-vivants
 le sourire figé dans le masque
 et les yeux glacés
ne couvrent plus le claquement des coups de feu, des coups de poing
 et des tortures

ne masquent plus la cruauté mentale que nous font subir
 à nous rendre complices -de fait-
 ceux qui nous “dirigent”,
ce dont ils s’excusent
 dérisoirement
en quelque discours puant le mensonge libéral
en goutte-à-goutte de subventions qui ne servent qu’à régler la pression
de la chaudière sociale
afin qu’elle n’explose pas...

villeombre2L' ARMEE DES OMBRESvilleombre2

- II -

Là, ils sont tous d’accord.
Ce serait le Chaos, l’Anarchie, le Bordel en un mot.
Mais surtout l’Inconnu.

Mais si nous, foule anonyme,
ne jouions plus le jeu ?
Si nous commençions d’exister ?
Si nous vivions notre aventure personnelle dans ce qu’elle a d’unique,
 de désirable,
Si nous cessions de contempler le spectacle de ce que nous sommes
 et de le cautionner
 et d’abdiquer -jour après jour- notre souveraineté,
Si nous crevions l’insuppordiv solitude,
Nous ne serions pas longs à nous rejoindre.


Car la situation ainsi créée sur le terrain qui nous concerne le plus directement
 et que nous connaissons vraiment
Nous permettrait de reconnaître nos complices
 et de rectifier doucement le tir
Afin de mettre le feu au point précis
 Qui fait brûler toute la prison.

Il nous faut nous instruire les uns les autres,
 apprendre ensemble à déchiffrer
les mensonges de l’Histoire par l’histoire du Mensonge.

Le mensonge,
cette époque y aura excellé, entraînant avec elle
 la confusion, la toute puissance des idéologies,
 leur faillite apparente (car tout finit par se savoir)
 ou leur cynisme triomphant.
Les dégâts sont énormes qui font le lit de la violence
de classe autant qu’individuelle
de toutes les violences économiques
 de toutes les violences d’Etat.

On tire sur tout ce qui bouge
 autrement.


Car tous ceux
 pour qui vivre n’est pas lettre morte
  mais conscience crue
Qui n’arrêtent pas leur geste à la satisfaction d’avoir dit merde !
 Ou d’en appeler à un autre pouvoir
  qui serait bien à eux
Et qui sont en désir,
En désir d’une vie qui ne soit pas à vendre,
Ceux-là sont en danger.

Et ce danger est tel
 qu’il faut que les égaux se sachent
 qu’ils soient conscients de ce qu’ils sont
Et que, ne désirant ni origines, ni pères, ni pouvoir, ni possessions,
 autrement dit
ayant choisi de n’avoir rien à perdre
Ils concrétisent leurs forces
 Par la reprise en main de leur propre destin
 Dans le refus de servir autre chose que leur envie de vivre
  libres
 Un mot qui signifie beaucoup.

Libres de s’inventer une vie, là.
 Là où ils survivent
  en esclaves apparents
  en seigneurs clandestins
 avec ceux que -dans l’acte- ils se sont reconnus comme complices.

Car la complicité ne nait pas simplement de l’idée
 Mais de la vérification par l’acte
 De la conscience d’une situation.

Et il est de ces actes
-irréversibles-
dans leur geste même
qui combat directement la situation imposée
qu’ils en dépassent toute réponse convenue dans un cadre donné.

Et ceux qui, anonymes, occupent des lieux à vivre,
 au nez de leurs propriétaires,
 ceux qui les y aident,
Ceux qui par une dérisoire -mais essentielle- grève de la faim,
posent les distances qui les guérissent de leur propre impuissance
Ceux qui luttent contre toutes les terreurs
 et revendiquent la dignité du choix,

De tous les résistants
Et de ceux qui, comme moi, cherchent
 dans la nuit des violences et des répressions
  une lueur d’aube
Pour ne citer que tous ceux là,
Je dis qu’ils nous aident à être.

LES BRUTES
premier tableau : le travail
-suite-

*
Je revins peu à peu d’une mort abyssale
qui n’avait pas voulu de moi.

Et je dansais dans les rues
maintenant disponible aux désirs de dérive que j’avais toujours eus.

Et je faisais tout à l’envers
pour le plaisir.
Vivre la nuit, dormir le jour, ne plus dormir
pour être ivre de fatigue, voulue,
Et voir l’autre, toucher l’autre, vivre l’autre
reconquérir ma ville, ma cité, volée
et mon temps, volé.

*
Et toujours, quand je conte l’histoire
Qui m’a fait m’évader par mer belle

Je vois l’émerveillement dans les yeux de mes amis.

Depuis toujours j’en avais rêvé
mais il fallut que ce jour là
il me fut impossible de pouvoir autre chose
que tomber
et ne rien faire.

Cela m’a coûté sept ans d’épuisement
et un quart d’heure de réflexion