Alors que nous avons, nous autres,
un langage commun
Que nous avons construit sans nous connaître
sans avoir besoin de nous consulter.
Et toi,
qui es en taule, à seize ans
Tu dis ce que je dis avec les mêmes mots
Des mots qui ne sont venus là
que parce que tu les as vécus.
Un vécu dense et dur et pratiqué par ton corps même
qui refusa de se soumettre
et de considérer comme tiennes
Les justifications insensées d’un emprisonnement
dont tu t’es défendu
Jusqu’à la prise de conscience
de sa Totalité.
On se foutait de toi, il y avait autre chose,
Et c’est cet autre chose, la conscience de cet autre chose
Qui t’a permis de parler et de faire, sans appel,
ta première dénonciation.
Mais à qui parlais-tu ?
Pas à eux, à toi-même.
Toi, dont il m’a suffi de savoir l’existence
au détour d’un hasard
Je n’ai aucune question à te poser et si je te rencontre
je te reconnaîtrai.
Ton refus vaut le mien, ta liberté -par le mouvement qu’elle suppose-
parle comme la mienne
Je n’ai rien à t’apprendre mais juste à te faire signe.
Nous sommes une évidence du moment.
*
Car, si la cohésion internationale du pouvoir libéral ne fait plus aucun doute
Si la colonisation est universelle et hiérarchisée,
mais dites-moi, et pourquoi donc
Nous qui subissons dans nos coeurs et nos corps
les même offenses, les mêmes humiliations
Nous qui avons la même histoire, celle de l’impuissance,
mais qui avons une longueur d’avance
dans notre volonté d’en finir avec ce jeu de mort infect,
Nous qui avons dû, pour continuer de respirer
-face à une fin de non-recevoir intolérable où nous n’avions pour seul choix qu’être de bons ou de mauvais esclaves-
prendre nos distances et trouver nos armes
alors que nous ne demandions qu’à vivre
harmonieusement
Pourquoi ne serions-nous pas le fait d’une conscience internationale de ça ?
Quel est l’être assez cynique, assez veule, assez omnipotent
à part Dieu
qui pourrait se permettre de dire
que nous avons tort ?
que nous délirons ?
que nous sommes fous ?